Portrait de Nicolas Maistriaux, repreneur de la Maison Clairvoy
Date de publication :
9/6/2024
De sa rencontre avec le monde du cabaret jusqu’au lancement de sa première collection de sneakers, le parcours de Nicolas Maistriaux, responsable de la Maison Clairvoy, est pour le moins atypique.
Il a moins de trente ans quand il doit reprendre cette institution du music-hall, du cirque et du cabaret, et se lancer dans le remaniement de cette entreprise d’exception. Les défis techniques, esthétiques, économiques et d’image sont nombreux et la reprise de la Maison Clairvoy illustre les enjeux auxquels font face les repreneurs d’entreprises du savoir-faire. L’Aède est partie à la rencontre de cet entrepreneur, artisan bottier et responsable de la Maison Clairvoy située dans le 9ème arrondissement parisien.
Nicolas Maistriaux se lance dans la botterie un peu par hasard. Grand fan de Michael Jordan depuis 1989, il s’oriente vers une profession manuelle, car peu porté sur les études, mais motivé par les dessins de sneakers qu’il réalise depuis des années.
Loin des paillettes, des plumes et de la danse, rien ne le prédestinait donc à se retrouver à la tête de la Maison Clairvoy, rue Pierre Fontaine dans le 9ème arrondissement parisien, célèbre pour ses créations dans le monde du spectacle et du cinéma. Pourtant, sa passion première et tout ce qu’il apprendra ensuite, au détour d’opportunités singulières, vont participer à faire de lui un artisan minutieux et aventureux qui aime jouer avec les limites et les codes.
“Je n’ai jamais eu une vision globale et ambitieuse du métier : je voulais faire du travail de qualité et tracer ma route”, raconte Nicolas.
Sa première rencontre avec la Maison Clairvoy a lieu en 1997, alors qu’il entre en apprentissage, sous la houlette d’un compagnon. Adresse renommée dans le music-hall, le cirque et le cabaret, Clairvoy avait déjà beaucoup évolué depuis sa création, en 1945.
À cette époque, où Paris rassemblait plus de trois cents bottiers, les messieurs venaient leur commander des chaussures régulièrement. Ces artisans ne sont plus que dix-sept en France, aujourd'hui, et rares sont les particuliers qui achètent du sur-mesure… Voyant donc la tendance changer, Clairvoy décide de se spécialiser dans le milieu du spectacle et approvisionne en particulier un client notable : le Moulin Rouge.
Quand Nicolas se forme à l’atelier en 1997, c’est sa première expérience dans ce secteur et il aura la chance d’être invité à l’une des premières représentations de Féérie. Cette revue du Moulin Rouge, devenue iconique depuis sa sortie en 1999, étincelante de paillettes, flamboyante de plumes et vibrante de couleurs, nécessite pas moins de 800 paires de chaussures et d’un millier de costumes pour enchanter son public !
Ébloui par ce premier pas dans le monde du cabaret, Nicolas est particulièrement marqué par l’abondance et la richesse des costumes, le chatoiement des couleurs et les performances sportives des artistes. C'est donc débordant de nouvelles inspirations qu'il reprend la route et poursuit son apprentissage du métier de bottier, dans un contexte plus traditionnel.
Après avoir consacré quatre ans à sa formation chez les Compagnons du Devoir, il rejoint la Maison Corthay, un atelier qui fabrique des souliers et des produits de maroquinerie masculins en cuir en s’appliquant à transmettre la technique et les gestes précis et exigeants de la botterie. Une carrière l’attendait dans cette enseigne qui est vite devenue une référence dans le prêt-à-porter et dont l’ambition était, et est encore aujourd’hui, de façonner les plus beaux souliers masculins.
Finalement, en 2006, l’une de ses connaissances l’embarque pour une tout autre aventure, qu’il était impossible de refuser.
L’objectif de Nicolas, c’était de créer des opportunités, de ne rien refuser, même si les difficultés pleuvaient et que les défis semblaient insurmontables. C’était le premier pas dans une démarche entrepreneuriale : avoir le goût du risque et être prêt à s’investir complètement dans l’aventure.
En 2006, le Moulin Rouge rachète la Maison Clairvoy, sur le déclin, pour sauver son savoir-faire et préserver la très haute qualité des chaussures, nécessaire à la production du spectacle. Avec un besoin de 800 paires pour la revue Féérie, le Moulin Rouge est un client très important de la Maison Clairvoy. Du modèle Salomé pour les femmes aux bottes pour hommes en passant par les cuissardes et les infatigables bottines de French Cancan : chaque paire doit répondre à des exigences de qualité et de résistance hors norme.
Nicolas et son associé répondent à l’appel du Moulin Rouge, cherchant des repreneurs, et se retrouvent ainsi à la tête de cette remarquable maison.
Les débuts sont éprouvants : donner un nouveau souffle à une affaire, façonnée par d'autres mains pendant quarante ans, n’était pas un défi facile à relever. Il fallait renouer avec l’existant, le perpétuer, veiller à la transmission d’un patrimoine unique tout en dessinant des lignes inédites pour la suite, sans se perdre dans mille projets à la fois.
Issus de la grande mesure et du prêt-à-porter masculin, Nicolas et son associé vont pourtant vite mettre en place une collection de souliers pour hommes et diversifier ainsi leur clientèle pour toucher les particuliers. “Ce que nous n’avions pas saisi, se remémore Nicolas, c’est que Clairvoy était une référence dans le music-hall, le cirque et le cabaret”. Or, cette réputation dans l'univers du spectacle ne s’était pas propagée à d’autres domaines et à la sortie de cette gamme, la qualité d’exécution et la propreté des finitions ont surpris et marqué les esprits.
En sortant des sentiers traditionnels de la Maison Clairvoy, les repreneurs ont réussi à se positionner sur de nouveaux marchés : la finesse de leur travail a séduit le monde du cinéma et leur collection de prêt-à-porter a ramené une clientèle de particuliers. Cette nouvelle notoriété, durement gagnée, permet ainsi de rediriger les lumières des projecteurs sur leur savoir-faire.
“Être dans le spectacle, ça change tout. On fait un métier de passionnés pour des passionnés, qui vont se réaliser sur scène et créer une identité de personnage”, souligne Nicolas. Pour tous ces artistes qui exécutent des performances incroyables, il faut un costume et des chaussures qui épousent leurs mouvements et soient au service de leur stabilité et de leur effort, sinon leur talent ne peut pas pleinement s’exprimer. Le bottier doit alors être à l’écoute du bien-être de l’artiste et de sa passion.
Lorsque Nicolas reprend la Maison Clairvoy, il découvre un savoir-faire propre au monde du spectacle. Les chaussures sont des paires de travail qui doivent satisfaire des besoins de technicité et de durabilité, tout en répondant à des critères esthétiques spécifiques pour la scène. C’était un nouveau terrain de création à explorer pour lui.
Les défis de ce secteur sont, eux aussi, bien particuliers : en plus de délivrer une qualité de haute voltige, les délais de fabrication sont souvent courts et le stress peut vite faire partie du quotidien de l’atelier.
“À 28 ans, je me suis retrouvé à chausser Michelle Pfeiffer sur un tournage. C’était un moment incroyable, mais aussi une énorme pression”.
L’exigence et la minutie du bottier dans son travail sont à la fois un gage de qualité et une nécessité pour satisfaire une clientèle qui demande de la précision, de l’écoute et de l’ingéniosité.
En 2020, Nicolas dépose sa marque Rock Your Body : première marque de la Maison Clairvoy. “Rock Your Body, ça veut dire dépasse-toi, bouge-toi et c’est presque une philosophie de vie”.
À travers des matières colorées et un héritage du spectacle, cette collection veut donner une touche de folie au quotidien et reflète parfaitement le parcours de Nicolas : il a réussi à mêler sa passion pour les sneakers avec un grain impertinent emprunté au monde du spectacle ; un pied de nez au classicisme.
Rock Your Body ouvre encore de nouvelles opportunités pour la Maison Clairvoy : la customisation d’une chaussure urbaine, originellement réservée au milieu du sport, avec des influences du spectacle et de la danse, offre des pistes de réflexions sur l’évolution du costume sur scène. De même, le choix et l’emploi des couleurs et des matières renouvellent les possibilités artistiques et permettent d’attirer un nouveau public.
Du technicien au créateur, Nicolas a trouvé son univers grâce à ses chaussures et il ne compte pas s’arrêter de l’étendre : “Mon objectif, sur le long terme, ce serait de vendre au monde entier et d’avoir une ligne de prêt-à-porter. Et mon rêve ultime de bottier du spectacle : ce serait d’avoir la possibilité de chausser un crew de World of Dance, dans la catégorie hip-hop. Parce que j’adore le monde de la danse et le mélange des styles !”
Reprendre une entreprise de savoir-faire, c’est d’abord une rencontre avec des gens, des métiers et des univers surprenants. C’est aussi un parcours long et difficile, où l’expertise de l’artisan est essentielle pour se mettre au service d’une institution dont la notoriété s’est construite sur des décennies, avec de ce fait, une clientèle devenue particulièrement exigeante.
Il faut s’imprégner de l’histoire de la Maison, la faire perdurer tout en ajoutant une petite touche de nouveauté à la fois, sans la dénaturer : c’est ce que Nicolas Maistriaux a réussi à faire en réinterprétant les codes traditionnels de la Maison Clairvoy, véritable référence dans le monde du spectacle, qui s’ouvre désormais à d’autres horizons.
Laura Dupui - L’aède
Autrice de romans fantasy et passionnée d'histoire, Laura a créé l'Aède, une entreprise de rédaction de contenus dédiée aux secteurs du Patrimoine et de la Culture. Inspirée par l'ancêtre grec du barde, l'aède, qui chantait les poèmes épiques qu'il composait, elle veut faire vivre des projets, des ambitions et des rêves à travers sa plume.
Son objectif est de transmettre une vision optimiste du monde en mettant en avant les belles initiatives, les talents et les créations qui façonnent notre Patrimoine et notre Culture.